Fiche de lecture:
Mike Brake: The Sociology of Youth Culture and Youth Subcultures.
 

 

 

Université René Descartes - Paris V, Licence de Sociologie
Cours de Mme Anne Raulin:
Etudes Européennes: «Anthropologie urbaine en Europe»
Christoph Lüscher
5, passage Dareau
75014 Paris
43 27 19 59
28. Avril 1995


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Cette fiche de lecture comporte deux sections. La première section donne une situation du livre dans son contexte scientifique, une introduction dans sa problématique centrale et un court résumé des conclusions générales de l’auteur. La deuxième section reprend certaines notions de l’auteur sous un point de vue critique.

 

1. Description et Résumé du livre

L’objet de cette fiche de lecture est la première édition d’un livre qui a eu un succès considérable: plusieurs rééditions depuis 1980 et au moins une traduction (en allemand). Cela peut s’expliquer par le fait que BRAKE donne non seulement un résumé critique de la quasi - totalité de ce qui a été écrit sur le thème des subcultures par la sociologie anglophone, mais, en plus, il essaie d’aboutir à une synthèse théorique du matériel discuté et des résultats de ses propres recherches. Mon résumé du livre se divise en cinq parties:
 

1. 1. Le développement d’un cadre analytique pour l’étude des subcultures

D’après BRAKE, les subcultures sont des «solutions» pour des problèmes collectivement ressentis qui naissent de contradictions dans la structure socio-économique.[1] Cela peuvent être des problèmes de statut, particulièrement dans ce que la théorie du fonctionnalisme structurel appelle des passages de statut entre école et travail ainsi qu’ entre travail et mariage. Ces moments dans la vie d’un individu se caractérisent par une incertitude d’un statut perçu souvent comme très bas. Des problèmes d’incertitude économique, de chômage, de manque d’expression créative, ainsi que des positions très marginales dans la culture dominante et des phénomènes de stigmatisation sont d’autres exemples énumérés par BRAKE. Nombre de ces problèmes sont expérimentés particulièrement pendant la jeunesse d’un individu, cela explique pourquoi les subcultures sont très souvent des cultures de jeunes.

Les solutions prises ont un caractère «magique»: elles ne sont jamais vraiment matérielles, mais restent toujours culturelles et temporelles.

Les subcultures offrent certains éléments culturels comme des styles, des valeurs et des idéologies qui permettent à leurs membres de développer une identité achevée, hors de celle assignée par la classe, l’éducation et le travail. Par exemple: Un individu ayant un statut très bas dans la culture dominante peut joindre une subculture qui définit d’autres manières d’accéder au statut.

Une subculture permet d’expérimenter une autre forme de réalité sociale. Elle est pourtant enracinée dans la culture de classe et dans le voisinage. Elle peut aussi former une communauté symbolique transmise par les médias de masse. L’importance du concept de classe chez BRAKE va être discuté dans la seconde section de cette fiche.

La subculture, par ses éléments expressifs, offre une occupation qui donne sens au temps libre découplé du monde instrumentalisé du travail.

Les subcultures ont une tendance à être de caractère masculine, pour des raisons qui vont être expliquées plus tard.

 
Il a été dit que le plus grand nombre des subcultures sont des cultures de jeunes, cela ne veut pas dire que tout les jeunes sont membre d’une subculture. BRAKE insiste sur le fait que le plus grand nombre des jeunes font partie de ce qu’il appelle «la jeunesse respectable» ou la jeunesse non-subculturalisée. Parmi la jeunesse subculturalisée, il discerne trois courants, «la jeunesse délinquante»: une forme de subculturalisation qui est typique de la classe ouvrière, «les rebelles culturels» et «le militantisme politique de jeunes»: formes typiques de la classe moyenne, qui utilisent la délinquance ou la déviance seulement comme «arme» pour faire reconnaître leurs valeurs et intérêts.
 

Pour l’analyse méthodologique des diverses subcultures, BRAKE propose le cadre suivant: Il faut prendre en considération, a) la nature de la subculture, son histoire et les «solutions» qu’ elle propose, ainsi que son style, ses images et leurs significations pour les membres, b) la réaction de la société dominante envers la subculture, c) la carrière «morale» des membres de la subculture et leur attachement à la société dominante par valeurs, responsabilités et investissement d’énergies, d) l’organisation sociale de la subculture et sa structure, e) la disparition de la subculture ou sa persistance, ainsi que les changements internes de sa structure (une réaction de la société dominante peut avoir des effets aussi divers que la disparition de la subculture ou sa véritable création: parce que, par exemple, une image offerte par les médias, provoquant des réactions de dégoût de la société dominante peut pour cela attirer certains individus).
 

1.2. L’analyse des travaux sociologiques concernant les subcultures en Angleterre et aux Etats Unis

BRAKE donne ici une analyse d’un grand nombre d’oeuvres et d’élaborations théoriques traitant de la jeunesse, la déviance et des subcultures. Rappelons qu’il veut aboutir à une synthèse théorique du matériel traité, c’est pour cela que la plupart des éléments abordés se retrouvent dans ses propres théories, et c’est pour cela et pour l’espace limité de cette fiche de lecture que je ne poursuis pas mon résumé sur cette partie du livre.
 

1. 3. Exemples de subcultures spécifiques

En appliquant la méthodologie élaborée précédemment, BRAKE traite dans cette section d’un grand nombre d’exemples de subcultures: Les Teddy Boys, les Mods, les Rockers, les Skinheads, les Glamrockers, les Punks, la Beat generation, les Hippies, les Rude boys, les Rastafarians et d’autres subcultures noires et asiatiques. Essayant, entre autre, d’en discerner ce qu’il appelle leurs «focal concerns». Pour les Hippies, par exemple il trouve, a) résistance passive: un désenchantement du politique crée une ignorance apolitique de la fonction de l’état et du pouvoir politique et l’illusion que, si c’était l’amour qui règnait, tous les problèmes se résolveraient, b) mouvement: voyages géographiques et symboliques, ainsi que changement de la personnalité, c) dissociation: la pauvreté volontaire pour échapper à un système d’éducation et de carrière ressenti comme inhumain, trop exigeant et standardisant, d) expressionnisme: en opposition au matérialisme, plaisir et créativité, e) subjectivité: être ouvert pour toute expérience nouvelle, tout est bien ou acceptable, cela en réponse à la concurrence omniprésente dans la société dominante, f) individualisme: en réaction à l’anonymat de la société de masse.
 

1. 4. La culture de la féminité versus le «machisme»

D’une importance centrale pour la structuration de l’identité culturelle et subculturelle sont les classements par occupation, âge, classe, sexe et race. BRAKE note que dans la plupart des études sur les subcultures, le classement par sexe est ignoré et que beaucoup de ces études reproduisent des idées reçues sur la nature des femmes. Il est en effet frappant que la plupart des subcultures étudiées ont un caractère masculin où les femmes jouent seulement un rôle marginal. Pourtant, les femmes éprouvent bien des problèmes structurels que pourraient mener vers une subculturalisation: salaires inférieurs aux hommes, travail non-payé et non-reconnu dans le ménage familial, jugement par leurs désirabilité sexuelle plutôt que par leurs achèvements intellectuels etc. BRAKE a trouvé plusieurs explications pour le peu de présence des femmes dans les subcultures: Les femmes, surtout dans la classe ouvrière, sont préparées très tôt au mariage, on leur propose (à travers les médias, l’éducation etc.) une autre manière d’échapper au sentiment d’infériorité: la romance. FIRTH, cité par BRAKE a aussi remarqué que les parents effectuent souvent un contrôle plus stricte du temps libre de leurs filles que de leurs garçons, les filles sont tenues d’investir leur temps libre dans l’apprentissage du travail domestique. Par agents de socialisation très puissants, les femmes sont forcées à apprendre très tôt la réserve et la solitude typique du travail domestique. Toute manifestation d’intelligence ou de force extraordinaire sont souvent fort dépréciées, cela est particulièrement vrai pour la classe ouvrière. En résumé: les subcultures explorent et célèbrent la masculanité d’une forme ou d’une autre. Ils reproduisent le sexisme du monde extérieur.

Dans la section deux de cette fiche, je vais proposer encore une autre explication pour l’absence des femmes dans les subcultures.
 

1. 5. Subculture et culture manufacturée

Dans ce chapitre de son livre, BRAKE démontre l’interaction complexe entre la culture, la culture manufacturée pour des fins commerciales (comme la musique de Rock) et la subculture.

Le concept de «bricolage» de Claude LEVI-STRAUSS peut être appliqué sur les subcultures: des objets de la culture dominante et de la culture manufacturée sont sortis de leur contexte et réarrangés pour communiquer des significations nouvelles.

Une influence dans le sens opposé a aussi lieu: la culture manufacturée est loin d’être déterministe, elle est sensible aux réactions du public et elle offre une place aux individus en quête d’expression créative. Ils peuvent aussi avoir lieu des formes de commercialisation d’un style subculturel.

La culture dominante réagit pas seulement par stigmatisation à la formation de subcultures: des processus d’assimilation ou d’accommodation ont aussi lieu, certains éléments subculturels peuvent être intégrés dans la culture dominante.

Les subcultures sont aussi un agent de socialisation important pour la continuité de la société: elles permettent une exploration du rapport au monde et un détachement de la famille qui peut aboutir à la construction d’une identité propre et d’une vie propre, leurs valeurs ne sont souvent pas contradictoires aux valeurs de la société dominante: les Hippies ont réinterprétés les valeurs traditionnelles de la respectabilité, exacerbés la valeur de l’individualisme prédominant dans les classes moyennes, et ils ont accentués la «valeur souterraine»[2] de la sexualité libérée, mais ils n’ont pas crée des véritables contre-valeurs. En outre, les rôles sexuels traditionnels sont restés inchangés.
 
 

2. Discussion critique du livre

2. 1. Emploi du terme «subculture»

Toute discussion de ce livre encyclopédique sur cinq pages peut être qualifiée comme arbitraire. Le choix des théories que j’ai présentées a été très sélectif. La deuxième édition du livre a entraîné des changements importants dans le texte et dans les théories, c’est pour cela que certains des points critiques que je vais énoncer maintenant peuvent déjà être obsolètes.

Si on peut reprocher quelque chose à l’auteur de ce livre, c’est d’avoir succombé à la complexité inhérente au terme de «subculture». YINGER (dans ARNOLD) dit que les sociologues utilisent le terme de subculture comme un chimiste qui utiliserait un seul mot pour tout les liquides incolores. Cette nébulosité du terme ainsi que celle des termes «culture de jeunes» et «contre-culture» n’est jamais entièrement résolue dans l’écrit de BRAKE, pareil pour les frontières entre ces trois termes. CLARKE (cité par BRAKE) a argumenté que, si on avait introduit le terme de «subculture» aujourd’hui, il aurait été refusé. Cette nébulosité du terme entraîne que toute tentative de définition reste sélective, pareil pour la définition synthétique de BRAKE.
 

2. 2. Le concept de classe

BRAKE accorde une très grande importance à la classe (il distingue: classe ouvrière et classe moyenne, une troisième classe n’est pas mentionnée) pour le genre de subculture qui en émerge. La classe ouvrière a une tendance à produire des subcultures délinquantes tandis que la classe moyenne produit plutôt des subcultures de rébellion ou de militantisme politique. Les subcultures de la classe moyenne sont plus diffuses, moins basées sur le voisinage et ont une influence plus longue sur la biographie de leurs membres. Les valeurs qu’ils représentent sont plus proches de celles de la culture dominante. BRAKE reconnaît, bien sur, qu’il y a des exceptions, mais il constate aussi que les membres d’une subculture qui n’a pas d’origine dans leur classe se voient souvent marginalisés pour des raisons proches de celles qui entraînent leur marginalisation dans la société dominante. Ainsi, BRAKE voit se reproduire une partie des relations de classe et d’inégalité dans les subcultures. Les réflexions de BRAKE aboutissent parfois à un déterminisme de classe qui peut paraître rigide et méconnaissant du pouvoir de changement social tout de même propre aux subcultures.
 

2. 3. La position des femmes

BRAKE a omis une des raisons pour le peu de représentation féminine dans les subcultures et pour le manque presque complet de subcultures féminines. La raison sur laquelle il met l’accent est la socialisation forte des femmes dans leur rôle traditionnel. Pourtant, les subcultures naissent de contradictions dans la structure sociale qui sont collectivement ressenties. Or, la plupart des femmes ressentent moins de contradictions dans la structure sociale que les hommes: ils sentent bien leur infériorité dans la hiérarchie sociale, mais cela existe «depuis toujours», «toutes les femmes» ont toujours eu un travail mal payé pour faire le pont entre école et mariage. Cette infériorité sociale nécessite un long travail de prise de conscience pour atteindre la même force explosive comme la contradiction ressentie entre un diplôme universitaire et le statut de chômeur chez les hommes. L’évolution actuelle peut donner raison à cette théorie: deux nouvelles formes de subcultures se sont largement répandues depuis les études de BRAKE en 1980: les subcultures féministes qui essayent de profiter du pouvoir offert par le regroupement pour exiger, enfin, l’égalité des sexes. Et certaines nouvelles subcultures comme des subcultures de l’intelligentsia où les femmes ont des positions importantes peut-être simplement en raison de l’importance de leur représentation dans la culture entourante.
 

2. 4. Subcultures comme solution de problèmes

Les théories de BRAKE ne me paraissent pas tout à fait expliquer certains phénomènes subculturels dans des phases de prospérité économique ou dans des pays ayant une structure sociale relativement peu hiérarchisée et contradictoire ainsi qu’une prospérité économique quasi universelle (comme, par exemple, la Suisse). En effet, les moyens d’expression créative et de liberté de mouvement dont dispose la jeunesse sous ces formes sociales peut être considérable, le futur peut paraître assuré, intéressant et valorisant, et pourtant, il y a formation de subcultures. On peut observer la naissance de subcultures a fins purement expressifs, comme, par exemple, la plupart des sprayers en Suisse, dont l’absence de messages politiques dans leurs oeuvres sur des murs en béton fait partie de l’ethos subculturel. Le caractère déviant résultant de la dégradation de biens communs ou privés peut contribuer à la cohérence du groupe, mais n’est pas exploité par celui-ci. L’obsession de beaucoup de sprayers qui font partie du noyau dur de la subculture est plutôt de faire des «pieces» (graffiti) qui plaisent à beaucoup de gens, dans des endroits bien visibles mais pas gênants, comme par exemple les murs aux bords des tracés de chemin de fer. Aux yeux de la subculture, seulement le fait d’avoir produit des «pieces» (quelque chose de beau) donne droit au «tag», l’inscription de son nom de code sur les murs. Ceux qui ne font que inscrire leur nom ne sont pas considérés comme membre de la subculture par celle-ci. On peut ainsi observer d’autres formes d’évitement de conflit avec la société dominante, le but étant d’être accepté comme subculture et d’avoir accordé l’espace nécessaire pour l’expression subculturelle. Ce qui peut en effet arriver comme il est le cas pour la ville de Berne, où, dans un vote, les citoyens ont accepté de donner un complexe de bâtiments, occupés illégalement, aux occupateurs, en assurant, en plus, un entretien minimal. Un autre exemple est la tolérance très répandue des graffitis ou, même, le fait que certaines sociétés payent des sprayeurs pour qu’ils décorent leurs murs d’usines ou d’entrepôts.

Le phénomène des subcultures qui ne sont pas visiblement en réponse à des contradictions dans la structure sociale reste à expliquer[3] (ou les contradictions auxquelles ils répondent à trouver). Une étude de ces formes subculturelles pourrait éclairer (ou être éclairée par) des phénomènes comme la tribalisation de la société, le retour à la non-finalité etc. constatés par des sociologues comme M. MAFFESOLI.

 

3. Bibliographie

Arnold, D. O.: Subcultures.

Brake, M.: The Sociology of Youth Culture and Youth Subcultures, Routledge, 1980.

 

Annotations

[1] Avec cette conclusion, BRAKE est proche de théoriciens comme par exemple COHEN (dans ARNOLD): La naissance d’une subculture est le résultat d’une intéraction réussie de personnes ayant des problèmes d’adaptation semblables, elle est le résultat d’un support mutuel dans la recherche de nouvelles façons de résoudre des problèmes.
[2] Veut dire: Valeur exisistante dans la société dans le cadre privé, qui n’est pas exprimée en public.
[3] Autres exemples sont les ‘subcultures virtuelles’ comme les véritables subcultures qui se constituent dans le monde informatique autour des réseaux comme l’Internet ou autour du jeu d’action Doom.

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  Author: Christoph Lüscher, Year: 1995
  Institution: Université René Descartes - Paris V
  Location: http://christophluescher.ch/old/Brake.html